Musée du quai Branly
Les jeunes artistes africains face au musée
(Photo : Lucien Heitz / Jean -Michel Gelmetti)
Comment de jeunes artistes africains ont-ils accueilli l’ouverture d’un musée dévolu aux objets en provenance de leur terre ancestrale, et le projet Branly a-t-il réveillé l’attention des galeristes et des collectionneurs sur la création contemporaine ? Les artistes peintres et plasticiens -Pape Teigne Diouf (Sénégalais) et Anne Yoro (Franco-Ivoirienne)-, ainsi que la journaliste responsable de la rubrique arts plastiques pour la revue Africultures,Virginie Andriamirado donnent leur point de vue.
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RFI : Comment avez-vous perçu, personnellement, la création d'un musée spécialement dévolu "aux arts et civilisations extra-européennes" ?
Pape Teigne Diouf : Je dis bravo, même si pour certains, ce musée représente avant tout le transfert du musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, héritier du vieux musée colonial, puis de celui de la France d’Outre-mer. Le lieu d’implantation du musée est situé au centre de la vie culturelle parisienne. Je me disais dans un premier temps, que ces objets devaient être rendus aux pays d’origine et que la place d’un tel musée devait être à Gorée ou sur un autre site d’Afrique symbolisant l’histoire de ces peuples. Mais les musées d’Afrique continuent d’être pillés et ce sont souvent les employés de ces institutions, ou des dirigeants des Etats africains qui sont au centre du trafic. Ces objets, qui appartiennent au patrimoine de l’humanité, dorment souvent dans des salons aux Etats-Unis et au Japon… La France détient un riche patrimoine culturel du fait de sa présence dans les colonies. Il est bien que cet héritage culturel soit partagé et qu’il trouve un lieu où il sera préservé durablement.
Anne Yoro, série Illusion.
(Photo : Anne Yoro)
Anne Yoro : Je pense également que c’est une excellente chose. J’espère que ce site saura créer une unité et présenter l’ensemble avec cohérence, qu’il s’agisse de collections récentes ou non. L’aspect pédagogique est important. J’espère que les textes mis à la portée du grand public sauront présenter les pièces exposées sans obliger le visiteur à fouiller dans son propre imaginaire. Dans le même temps, on peut s’interroger sur le fait que certaines pièces, considérées comme des chefs d’œuvre, soient exposées dans un lieu « à part » au lieu de côtoyer les grands maîtres européens dans les autres institutions déjà existantes ?
Virginie Andriamirado : La création d'un musée est une bonne nouvelle en soi. Elle le serait davantage si elle concernait un pays d'Afrique où les musées sont peu nombreux et où, lorsqu'ils existent, les moyens manquent pour les entretenir. La création à Paris d'un musée dévolu « aux arts et civilisations extra-européennes » est, à mon sens, plus une re-création qu'une création. Il part de fonds déjà existants qu'il tend à valoriser dans un nouvel espace contemporain, un peu grandiloquent à l'image d'un projet inscrit dans les traditionnels grands chantiers présidentiels. La question est de savoir si l'on cherche à valoriser un projet présidentiel et institutionnel ou si l'on cherche à valoriser le patrimoine de pays dont un certain nombre sont d’anciennes colonies françaises. Si, compte tenu de l'état d’abandon ou de délabrement de la plupart des musées africains, il est préférable que ces œuvres (pour certaines issues de pillages et de butins de guerre dans les ex-pays colonisés) soient conservées dans les musées occidentaux alors, des partenariats dignes de ce nom doivent s'établir avec ces musées. Il faudrait par exemple imaginer que ces musées africains puissent bénéficier de l’accès à la base de données du musée du Quai Branly comme outil de travail permanent pour les chercheurs.
RFI : Les différentes polémiques -qui ont porté sur le bien-fondé de ce musée et le choix de son nom de baptême- ont-elles au moins présenté l’avantage d’attirer l’attention des marchands sur les artistes africains contemporains ?
Virginie Andriamirado : « Arts premiers » fâchait tant qu’au final on a choisi comme nom de baptême son adresse. Heureusement que le musée n'a pas été construit rue de la Colonie dans le 13ème arrondissement ! Plus sérieusement, je n'ai pas le sentiment que toutes les discussions et polémiques sur ce musée aient contribué d'une quelconque façon à attirer l'attention des marchands sur les artistes africains contemporains. Les choses sont encore très cloisonnées, surtout en France. Ceux qui s'intéressent aux arts anciens ne s'intéressent pas pour autant aux expressions contemporaines. Voyez l'exposition Sénégal contemporain qui se tient actuellement au musée Dapper : l'accent est mis sur les artistes contemporains du Sénégal mais, pour ne pas dérouter les visiteurs, le musée présente en parallèle une exposition sur les masques. J'ai vu des personnes traverser la salle où sont exposés les artistes contemporains pour rejoindre celle des masques, sans même prendre la peine de s'arrêter sur leurs œuvres. Des artistes contemporains comme Romuald Hazoumé ou Soumégné se sont, chacun à leur façon, emparés du masque qu'ils inscrivent dans un processus de création résolument contemporain, interrogeant à la fois le passé et le présent. Si on prenait la peine de s'arrêter sur les œuvres des artistes contemporains de l'Afrique et de sa diaspora, on verrait avec quelle pertinence certains d'entre eux s'approprient l'idée du support traditionnel pour nous interpeller sur le présent.
Pape Teigne Diouf, "Diagamars", 160x200cm, technique mixte.
(Photo : Lucien Heitz / Jean -Michel Gelmetti)
Anne Yoro, série Illusion.
(Photo : Anne Yoro)
par Dominique Raizon
Article publié le 01/06/2006Dernière mise à jour le 01/06/2006 à 11:59 TU
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